La deuxième journée, on répète le tout.
Enfin, presque.
Parfois, on se fait réveiller par un grand-papa hâtif, toujours levé de bonne heure et de bonne humeur. Il arrive avec son camion, et son petit trailer rouge collé au cul.
Il est 10 heures. J'étais encore entrain de rêver à Hitler.
- Bonjour bonjour!
Oui, c'est bien mon grand-père. Ses yeux plissés, son visage ridé par des années de travail - de quatre enfants, de bon service aux yeux de Dieu, de vieillir, etc. Il vient aider son fils à ramasser une vieille boîte de métal, un tondeuse troisième génération, des roches et des branches. Je les regarde aller, du coin de l'oeil, parce que c'est tellement drôle, et parce que moi, je suis toujours intriguée par la prochaine page de mon roman, que je dévore à grosses bouchées.
Vient l'heure du lunch. Un homme qui a travaillé tout l'avant-midi, ça mange des bons gros sandwichs et une bière. Et ça se fait un deuxième sandwich.
Mon grand-père alimente la conversation pendant le repas : il parle de son voisin, de ses autres enfants (les frères et la soeur de mon père), qu'il y avait un ours à Saint-Étienne la semaine passée mais qu'on l'a attrapé grâce à un sandwich au beurre de pinottes qu'une madame avait gentiment préparé aux hommes qui guettaient l'ours.
Puis, le moment que je redoutais malgré moi :
- C'te lac là, c't'un ben beau lac. Quarante-cinq pieds par endroit! Je l'ai vu avec mon sonar!
- Ah oui?
- Oui-oui. ça me dit même où c'est qu'il y a des poissons. Des achigans, des perchaudes. Pis des crapets soleils, mais ça on les rejette à l'eau quand sont pas trop blessés.
- J'en ai déjà attrapé, des crapets soleils, ici...
- Ah oui? On ira pêcher ensemble. J'vais te montrer. Le meilleur endroit, c'est en face du chalet, mais de l'autre bord du lac, près de la route, là-bas.
-Ok, oui, on ira, dis-je sans grande conviction. Je rajoute une incise pour donner le ton de la conversation. Il aime tellement la pêche que je fais semblant de m'intéresser à fond pour lui faire plaisir.
Après le dîner, il vient voir mon « équipement », s'il en est un. Il me montre comment mettre l'hameçon au bout de ma ligne. Il me dit que ces faux vers - les jiggles - ont tellement bien marché l'autre fois qu'il est venu pêcher avec ma tante et mon cousin.
En fin d'après-midi, il nous quitte, moi sur la promesse d'aller pêcher un de ces quatre, et de mon père, la tâche de dire à ma grand-mère que telle date, nous ferons un gros barbecue familial. (Vous savez, le classique. Tous les oncles, tantes, cousins et cousines ; la baignade, de la pêche, des hot-dogs, des hamburgers...)
Le lendemain, toutes les tâches accomplies sur la liste interminable, je vois mon père aller s'asseoir directement sur le quai. Ça ferait une belle photo. En le regardant, c'est clair qu'il ne fait pas que regarder le lac. Il pense, réfléchit.
C'est typique des Dupont : on beau avoir l'air de ne rien faire, mais ça s'active dans nos têtes. Des dessins s'esquissent devant nos yeux, des mesures s'ajoutent au croquis, des plans germent dans nos esprits.
Les hommes, chez les Dupont, aiment se tenir occupés. Mon grand-père se trouve toujours quelque chose à faire, bidouiller, bricoler, réparer, vernir, peinturer, teindre, sabler, couper, rabibocher, inventer.
C'est donc là que je voyais mon père inspecter le (nouveau) quai sous tous ses angles possibles. Il venait d'avoir une idée, qu'il allait garder pour lui encore un moment avant de nous en faire part.
Puis, il s'est levé, s'est approché du chalet et a dit :
- On mange, et on part! À 13 heures, on est partis!
C'est toujours avec regret qu'on quitte cette deuxième petite maison.
Mais c'est pour mieux y revenir.